Prix Jean Amila-Meckert 2010, prix joseph Kessel 2010 et Globe de cristal 2011, catégorie " littérature et essai"

       

« La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail... »
Florence Aubanas

Sur le fond
* Constat toujours d'actualité ? La crise, celle de 2008 sur les "subprimes", de 2015 sur la déflation, celle due au covid ou à l'Ukraine ? Et celle de 2001 sur les valeurs Internet pour remonter plus loin. Il faut toujours un bouc-émissaire.

* Le relationnel : l'égoïsme des gens, des Museau, des guichetiers de pôle emploi... la rapacité des employeurs. Chacun dans sa bulle : "Je suis devenu invisible." p77
à égoïsme/dureté
Comme un avant goût des gilets jaunes sans révolte

* L'annonce : qu'est-on prêt à accepter, jusqu'où peut aller l'exploitation ? (mondialisation = paupérisation des pays riches ?) - Libéralisme = loi offre/demande --> chômage + position infériorité (rôle syndical).

* Le ferry : Mauricette, petits chefs & négriers
- pas de travail mais « faire des heures »
à comment ne pas vivre de son travail
- la guerre entre elles (les vieilles p 117)
- la pression  & la peur (d’aller au pot de Laetitia) p 116 & suivantes
- Le bouche-trous ex p 135


 
Le film avec Juliette Binoche (Marianne Winckler )

Entre travail temporaire et chômage

Le quai de Ouistreham [1] se présente comme une enquête-témoignage minutieuse de six mois dans le milieu des gens qui galèrent dans les petits boulots et le travail précaire du genre femmes de ménage, des boulots à temps partiel qui ne permettent pas d’en vivre.
Toujours les mêmes petits boulots, que ce soit à L’Immaculé, au terminal du ferry ou au camping du Cheval blanc.
C'est également une réflexion sur les mécanismes de l'exclusion sociale, ce qui signifie le mot « crise » pour ceux qui la vivent au quotidien.

Pour cette expérience, elle choisit la ville de Caen, une ville qui connaît quelques difficultés depuis la fin de Moulinex, jouant la femme de ménage sans formation, sans expérience professionnelle, bouche-trous, "transparente" car dit-elle, « mes relations de travail consistent pour l’essentiel à me faire oublier… ».

 

Elle y découvre le cynisme des officines privées de placement, un Pôle emploi dépassé par l’ampleur de ses missions, des employés pas vraiment motivés. [2] On se contente d'offrir aux chômeurs des stages de formation souvent sans grand intérêt pour masquer les problèmes. 

Elle aussi fait le parcours du combattant des petits boulots, en particulier le nettoyage des ferries assurant la liaison entre Caen-Ouistreham et Portsmouth, rencontrant des gens qui ne vivent que dans le présent immédiat, la plupart sans perspectives d’avenir et sans grande envie de se battre, dépassés par la dureté de leur condition.

                    
La méprise                                                   Grand reporter

Dans cette expérience, elle devra beaucoup accepter pour en retirer peu d’avantages, s’abaisser pour décrocher un petit emploi à temps partiel, éviter de répondre aux provocations : « Je cours d’une chose à l’autre, écrit-elle, maladroite, toujours en retard d’un reproche. » La dureté du travail tient autant au travail à la chaîne qu’à la mentalité des "petits chefs" qui renforce la pression qu’elles subissent.

Ses deux copines de galère Victoria et Fanfan avaient réuni à créer une section syndicale pour défendre tous ces déclassés qui sont d’abord des femmes. Mais la peur de tomber encore plus bas retient la majorité d’entre elles, témoin le pot de Lætitia où beaucoup ne viendront pas. Comme lui disait Victoria : « Tu verras, tu deviens invisible quand tu es femme de ménage. »

Florence Aubenas brosse le panorama d’une situation où la crise a amplifié les difficultés des plus pauvres et déstructuré leur système de survie.  

                  
                                                                   La fabrication de l'information

Notes et références

[1] Ce roman a été adapté pour France Culture en 2010-2011 et au théâtre mis en scène par Louise Vignaud, jouée à Lyon en 2018
[2] Par exemple, cette confidence : « Il faut recevoir les gens en temps et en heure, sinon une alerte se déclenche sur nos ordinateurs... Les primes sautent, la notation chute. ». 

       
Résister, c'est créer               Florence Aubenas & Juliette Binoche

Voir aussi
* Günter wallraff, Tête de turc, éditions de La découverte, 1986 --
* Jack London, Le peuple d'en bas, éditions Phébus, 1999 --
* George Orwell, Le quai de Wigan, éditions Ivréa, 1982 --
(cf également "Quai de Wigan et quai de Ouistreham, même combat", comparaison des 2 ouvrages par Pierre Ansay, Politique, revue débats n° 65, juin 2010)
* Barbara Ehrenreich, "L'Amérique pauvre. Comment ne pas survivre en travaillant", 2001, En français, éditions Grasset, 2004 et édition poche 10/18, 2005
* Elsa Fayner, "Et pourtant je me suis levée tôt… Une immersion dans le quotidien des travailleurs précaires", Paris, éditions du Panama, 2008

** L'inconnu de la poste --  Mon site Société --

Sur le même thème
* Simone Weil, La condition ouvrière, 1951 (Vivre la vie des ouvrières)
* Madeleine Riffaut, Les Linges de la nuit
, Julliard, 1974, réédité 1998 & 2021 (L’hôpital)
- Robert Linhart, L'établi, 1978
* Günter Walraff, Tête de turc, 1985, Parmi les perdants du meilleur des monde, 2010
* Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, 1990 (Le maçon)
* Élisabeth Filhol, Bois II, 2014 (grève) et La Centrale, (sous-traitance), 2010
* Joseph Ponthus,
À la ligne, feuillets d’usine, 2019 (L’intérimaire)

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