lundi 10 février 2014

Philippe Sollers A propos de Machiavel

Machiavel, le Prince et la Renaissance

A l'occasion de la parution d'un livre sur Le Prince de Machiavel, [1] livre ses réflexions sur l'influence de Machiavel et ce qui fait sa spécificité, son actualité.
 

     
Machiavel, un nom magique, autant décrié qu'encensé, aussi bien de son vivant qu'après sa mort, mis à l'index par l'inquisition qui ne plaisantait pas à son époque mais redécouvert par Nietzsche, lui qui n'a écrit qu'un seul ouvrage mais combien célèbre : Le Prince.
 
Le problème est qu'on a beaucoup interprété ce que dit Machiavel, surtout pour servir de caution à ses propres convictions, e que n'ont pas manqué de faire maints penseurs, tous siècles confondus, s'exerçant à un art particulièrement difficile sur l'exercice du pouvoir. Succès incroyable d'un homme qui a réussi à faire de son nom un adjectif lié à l'enfer et aux pires manipulations. Il rejoint ainsi d'autres écrivains illustres comme son compatriote Dante, Sade ou Kafka, le dictionnaire parlant carrément de « rusé, perfide et tortueux » pour cerner le machiavélisme qui a cette caractéristique de définir un système politique reposant sur la négation de la morale et impliquant « une conduite tortueuse et sans scrupules ».
 
Grande constante dans un rejet quasi unanime, dès la circulation des premières copies en 1513 et surtout après sa publication en 1532, après la mort de son auteur puis lors de sa mise à l'Index par l'Inquisition en 1559... et donna même lieu à un «Anti-Machiavel»en 1576, commis par théologien huguenot, au nom certes pas prédestiné, un certain Innocent Gentillet. Toute cette cabale sera rejointe en 1740 par le roi Frédéric de Prusse qui mêlera sa voix à la réprobation générale, tant et si bien que l'adjectif "florentin" s'appliquera à l'art consommé de l'intrigue.
 
    
NICOLAS MACHIAVEL, penseur florentin de la Renaissance (1469-1527) et fils du trésorier pontifical à Rome,

auteur du «Prince» (écrit en 1513, publié en 1532) et de «Discours sur la première décade de Tite-Live»

Sa réhabilitation viendra de la fin du XIXe siècle avec Nietzsche qui dans son ouvrage « Par-delà bien et mal »pour qu'un génie philosophique fasse l'éloge « d'une pensée soutenue, difficile, dure, dangereuse » [...] Il nous fait respirer l'air sec et subtil de Florence, et ne peut se retenir d'exposer les questions les plus graves au rythme d'un indomptable allegrissimo, non sans prendre peut- être un malin plaisir d'artiste en un rythme galopant, d'une bonne humeur endiablée. »


Machiavel, dont en fait on connaît mal la biographie, est secrétaire de la République de Florence, un homme cultivé qui connaît très bien l'histoire de l'Antiquité et celle de son temps, qui sait tout des arcanes du pouvoir, un diplomate qui voyage en France et en Allemagne. Mais dès l'avènement des Médicis, ses ennuis commencent et il est arrêté puis torturé: «Sans l'avoir mérité, je supporte une grande et continuelle malignité de fortune » se plaindra-t-il. Le pouvoir est très relatif, comme les hommes qui le font, des hommes aux différentes facettes, ni bons ni méchants la plupart du temps, des hommes plutôt  ingrats, simulateurs et dissimulateurs, poltrons à l'occasion, avides de reconnaissance sous toutes ses formes.

« Un exercice périlleux »

Dans ces conditions, on peut se demander si les hommes sont "gouvernables" et s'il existe  un prince assez vertueux pour cela. Tâche difficile, insurmontable car « il est beaucoup plus sûr d'être craint que d'être aimé ». La réalité est encore plus subtile  et la porte est étroite : il doit être craint sans être méprisé ou haï, Il doit aussi « apprendre à ne pas être bon » et « savoir entrer dans le mal si nécessaire ». Devant le peuple, il se doit d'être tout à la fois inflexible, sûr de lui et apte à partager leurs sentiments en faisant preuve d'humanité.
 
On frôle la quadrature du cercle. Il s'appuie sur le Peuple, le plus grand  nombre, « le petit nombre n'a pas de place quand le grand nombre a de quoi s'appuyer. » et se situe au-delà du Bien et du Mal pour « nourrir habilement une inimitié pour l'écraser avec plus de grandeur, » sans états d'âme qui l'empêcheraient  « d'aller tout droit à la vérité effective de la chose plutôt qu'à l'imagination qu'on s'en fait. » Sur les sentiments humains, il ne se fait guère d'illusions : « Les hommes doivent être caressés ou détruits, car ils se vengent des offenses légères, mais des graves ils ne le peuvent pas. L'offense qu'on fait à un homme doit être faite de telle sorte qu'on n'ait pas à craindre la vengeance.»
 
Il profite de son exil dans les environs de Florence pour s'adonner à l'écriture, dédie en vain son livre aux Médicis, se plaint de sa situation auprès de son ami Francesco Vettori, alors ambassadeur auprès du Saint-Siège. Il passe son temps à se promener dans la campagne et les bois, à fréquenter l'auberge du village, à lire les grands poètes antiques, "Dante, Pétrarque, Ovide" notant « leurs passions amoureuses, je me souviens des miennes, et je me réjouis un moment dans cette pensée. » Vie solitaire, contraste entre cette existence retirée dans sa disgrâce et les beautés picturales de son époque, de Michel-Ange, Raphaël, Vinci ou Le Titien, où subsiste sa tombe dans l'église de Santa Croce avec son épitaphe datant de 1787,  « aucun éloge n'est digne d'un si grand nom.» [2]

       (JPEG)

Bordeaux, 1937. Dans le parc de la propriété familiale : Philippe Sollers avec sa soeur Annie et sa mère
  
Notes et références
[1] Le prince, de Machiavel, traduit de l'italien par Jacqueline Risset, présenté par Patrick Boucheron, illustrations choisies et commentées par Antonella Fenech Kroke, éditions Nouveau Monde, 224 pages
[2] En latin dans le texte d'origine : « Tanto nomini nullum par elogium »
 
Complément : Bibliobs

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