mardi 25 février 2014

Pierre Boulez et René Char

Pierre Boulez et René Char est un essai écrit par le musicologue Antoine Goléa (1906-1980) sur les poèmes de René Char mis en musique par Pierre Boulez.
 
File:Boulez25oct2004.jpg    
Pierre Boulez en 2004                          René Char

1- Une collaboration entre Pierre Boulez et René Char
 
Selon Antoine Goléa, le lien fort qui unit les deux hommes prend sa source dans leur recherche de liberté, nécessaire au renouvellement de leur source d’inspiration. René Char voulait, à l’époque où il écrivait les textes que Pierre Boulez a mis en musique, se libérer des canons du surréalisme et Pierre Boulez voulait se libérer du carcan de la musique sérielle qu’il avait pourtant largement contribué à diffuser. Pierre Boulez a choisi trois œuvres de René Char, "Visage nuptial", chant d’amour désenchanté, "Marteau sans maître", poèmes surréalistes et "Le Soleil des eaux" écrit dans la veine des textes des troubadours.
 
Le Soleil des eaux a été créé en juillet 1950 avec l’orchestre national dirigé par Roger Désormière. Pour Pierre Boulez, un musicien d’aujourd’hui doit mettre en musique un poète contemporain et « René Char représente une concentration de langages, une qualité, une fermeté incomparable. » (Interview d’Antoine Goléa)
 
Le recueil éponyme de René Char repose, précise-il dans une interview, sur « les secrets du paysage autant que sur la nécessité, le devoir forcé de la révolte, victorieuse ou défaite, jamais vaine. » (Interview d’Antoine Goléa) Ce n’est pas le ‘lyrisme suave’ de René Char qui a séduit Pierre Boulez mais la violence de son langage, ce qu’il nomme « sa dureté granitique. » L’osmose entre la musique sérielle de Boulez et le langage poétique de Char se réalise à travers « les élans puissants, élémentaires et éternels de l’âme humaine. »

   

2- Du Soleil des eaux à Visage nuptial

Le Soleil des eaux
Cette œuvre est composée d’une musique de scène basée sur le poème chanté "La Complainte du lézard amoureux", d’une cantate concertante sur un poème choisi par René Char "La Sorgue", avec solo féminin et pièces musicales en contrepoint, relevées par des chorales de voix masculines. Le thème met en contraste la splendeur de l’amour et la rapacité de ceux qui, pour asseoir leurs profits, mettent la nature en coupes réglées.

Visage nuptial
Cette œuvre est d’abord un long chant d’amour, selon René Char « une histoire d’amour. » Un amour qui suit le cycle de la vie, de sa naissance à sa mort, « le retour de l’homme à son initiale solitude. » Cinq tableaux pour cinq poèmes d’amour, sa naissance, son éveil, son accomplissement, son épanouissement et son déclin. Dans l’interprétation, participent à cette osmose entre la musique et les cinq poèmes de Char, les voix des deux femmes solistes, des chœurs de femmes et un grand orchestre dans la version définitive donnée en 1951 
 
     Image du ballet

3- Les 5 poèmes de René Char
 
- Conduite : le premier poème est construit sur le passage de la solitude à l’amour, d’abandonner « la soif anxieuse… et l’exil. » Boulez a choisi d’utiliser la libre improvisation, une lyrisme délicat à l’approche de l’amour.
 
- Gravité : le deuxième poème, sous-titré ‘L’Emmuré’, traduit l’attente anxieuse et délicieuse de l’amour : « Tu vas nue, constellée d’échardes, / secrète, tiède et disponible, / attachée au sol indolent, / Mais l’intime de l’homme abrupt dans sa prison… » Complexité des langages musicaux et poétiques se mêlent, « les sons prennent part à l’avènement de la parole. »
 
- Visage nuptial, le troisième poème, donne son nom à l’ensemble. C’est l’amour dans toutes ses dimensions. Boulez parle « d’organiser le délire », plaque une vocalise d’une grande puissance, allant crescendo sur le verbe aimer, un chant sensuel faisant ressortir le vers « Ô voûte d’effusion sur la couronne de son ventre. »
 
- Evadné : le quatrième poème est entièrement parlé, l’orchestre joue en arrière plan, le bruit du monde, extérieur au bonheur de l’amour. « C’était au début d’adorables années. / La terre nous aimait un peu, je me souviens. »
 
- Post-scriptum : ce dernier poème marque la fin de l’amour : « Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche ; / Á vos pieds, je suis né, mais vous m’avez perdu […] Le temps émondera peu à peu mon visage / Comme un cheval sans fin dans un labour dans un labour aigri. » Lenteur musicale avec voix des solistes et du chœur mêlées sur fond pianissimo des cordes, exprimant l’éphémère des sentiments.

 4- Marteau sans maître
 
Cette œuvre repose sur trois poèmes de René Char : "L’Artisanat furieux", "Bourreaux de solitude" et "Bel édifice et les pressentiments". Ces poèmes assez hermétiques si l’on oublie leurs racines surréalistes et le profond engagement du poète dans ce mouvement. Pierre Boulez a cherché à sublimer ces trois textes en tissant des liens subtils avec sa composition faite d’une cantate pour un contralto et un petit ensemble instrumental qui, par sa transparence, « rappelle celui du "Pierrot lunaire" de Schoenberg.



5- Infos complémentaires 
 
Bibliographie
  • Antoine Goléa, "De Massiaen à Boulez, de Boulez à l’inconnu", éditions Leduc, 1962
  • Antoine Goléa, "La musique, de la nuit des temps aux aurores nouvelles", éditions Leduc, 1977 
  • Voir aussi ma fiche Pierre Boulez et Paul Klee 

Références

  • Pierre Boulez, "Le Marteau sans maître (Dérives 1 et 2)" et "Explosante fixe", CD audio, 2005, édition Deutsche Grammophon
  • Pierre Boulez, "Pli selon pli, livres pour cordes", CD Sony, 1995
  • René Char, "Œuvres complètes", éditions Gallimard, La Pléiade, 1983
  • René Char, "Fureur et Mystère", collection Poésie, éditions Gallimard poche 
     <<< Christian Broussas – Boulez/Char, Feyzin, 3 janvier 2012 - < © • cjb • © >>>
 

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