vendredi 7 février 2014

Toni Morrison, écrivain avant tout

<<< L'écrivaine américaine Toni Morrison (née le 18/06/1931) >>>
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Être une femme, afro-américaine de surplus, ne semble vraiment pas propice pour décrocher le prix Nobel de littérature. [1] C'est pourtant le destin de Toni Morrison, professeur de littérature puis éditrice qui a obtenu le prix Nobel en 1993. Rien ne la prédestinait à une telle reconnaissance internationale. Chloé Anthony Wofford naît le 18 mars 1931 à Lorain, petite ville dans l'état de l'Ohio, dans une famille ouvrière -son père est soudeur- , deuxième des quatre enfants de George et Ramah Willis Wofford.

Ses parents quittèrent le sud des États-Unis pour échapper aux difficultés liées au racisme et avoir dans l'Est de meilleures conditions de vie. A la maison, elle est très vite férue de littérature, et ses parents lui font rapidement découvrir la culture noire du Sud en lui transmettant leur héritage afro-américain. Elle restera à jamais marquée par son enfance, le communautarisme de la société américaine qui vire parfois à la ségrégation et au racisme, même si son cursus dans le système éducatif américain est exceptionnel.
Très tôt, elle s'intéresse à la littérature, assez éclectique dans ses goûts, allant de Jane Austen, Virginia Woolf à Tolstoï, en passant par des auteurs américains comme Faulkner. Après des études à la Howard University of Washington et à l'Université Cornell, elle enseigne l'anglais au Texas Southern University de Houston puis revient enseigner à Howard.

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Toni Morrison en 1986

Si sur le plan professionnel sa réussite est éclatante, son mariage avec un architecte jamaïcain Harold Morrison, rencontré lors de son retour à Howard, se dégrade rapidement. 1964 représente un tournant dans sa vie : elle divorce puis se consacre à l'édition à la Random House de New-York où elle va publier les ouvrages d'Angela Davis, d'Andrew Young ou une anthologie d'écrivains noirs The Black Book en 1973. Elle s'installe d'abord dans la petite ville de Syracuse [2] puis à New-York. En parallèle, elle continue d'enseigner l'anglais à L'Université d'état de New-York puis la littérature à L'Université de Princeton, une ville entre Philadelphie et New-York où elle va rapidement s'établir.
L'écriture est pour elle une vocation tardive. Elle publie son premier roman The bluest eye en 1970 à l'âge de 39 ans, [3] obtient un grand succès avec ses deux romans Sula en 1973 et Song of Solomon en 1977 [4] avant d'atteindre la reconnaissance internationale avec Beloved en 1988. [5]

Elle se défend d'être la représentante de la communauté noire, son porte-parole et elle résiste difficilement à la pression de son audience internationale, les journalistes lui posant toujours le même genre de questions sur ce sujet. Son œuvre s'y prête aussi. [6]
De son père, Toni Morrison a retenu la prise de conscience de son identité noire et des difficultés relationnelles entre les Noirs et les Blancs. Parlant de son enfance, elle dira : « mon père était raciste. Enfant en Georgie, il a été marqué par le comportement des adultes blancs; et toute sa vie, il eut le sentiment que c’était justifié pour lui de mépriser les Blancs, alors qu’eux n’avaient pas de justification pour le mépriser. » Lorsque démarre le mouvement des droits civiques au début des années soixante, elle fréquente des personnes comme Andrew Young [7] ou Stokely Carmichael [8] ainsi que des membres éminents des Black Panthers.

En 1984, elle est nommée à la State University de New York à Albany, où elle supervise de jeunes écrivains en troisième cycle et écrit sa première pièce de théâtre Dreaming Emmett, inspirée de la véritable histoire d’Emmett Till, un jeune noir tué par des blancs en 1955, accusé d'avoir sifflé une Blanche dans la rue. Apprenant qu'elle était lauréate du prix Nobel de littérature, elle déclara : « Ce qui est le plus merveilleux pour moi est de savoir que ce prix a enfin été décerné à un afro-américain. Gagner en tant qu’américaine est très spécial, mais gagner en tant que Noire Américaine est sensationnel. Et ce qui est aussi très important c'est que ma mère soit vivante pour partager cette joie avec moi. » Sur cet engagement qu'on lui a parfois reproché, c'est la romancière qui a répondu : «  Je ne pense pas qu’il y ait de vrais artistes qui n’aient jamais été engagés. Ils ont peut-être été insensibles à tel ou tel fléau, mais ils étaient engagés car l’essence d’un artiste est d'être engagé. »

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Toni Morrison dans sa jeunesse

Notes et références

  1. A ce propos, elle écrit : « Je pense vraiment que la gamme d'émotions et de perceptions auxquelles j'ai eu accès en tant que personne noire et que femme est plus grande que celle des personnes qui ne sont ni l'un ni l'autre. Il me semble alors que mon monde ne s'est pas rétréci parce que je suis une femme noire écrivain. Il s'est agrandi. »
  2. Située dans l'Etat de New-York
  3. Le roman raconte l'histoire d’une jeune fille noire, Pecola Breedlove, qui pense qu’avoir les yeux bleus serait pour elle une bénédiction. Mais elle sera cruellement déçue.
  4. "Sula", qui a obtenu le "National Book Critics Award", est l’histoire de deux amies noires, Sula, considérée comme une menace envers sa communauté, et son amie Nel, dans la ville fictive de Medallion, dans l’Ohio (où elle est née). "Song of Salomon" (la chanson de Salomon) qui lui vaudra le prix de "l’Institut Américain des Arts et des Lettres" est une chronique familiale qu'on a parfois comparée à "Racines" d’Alex Haley.
  5. Adapté au cinéma par Jonathan Demme en 1998 avec Danny Glover et Oprah Winfrey.
  6. Dans ses descriptions de l'univers réel ou imaginaire du peuple noir, Toni Morrison a rendu au peuple afro-américain son histoire morceau par morceau (l'académie du Prix Nobel)
  7. Qui travailla avec Martin Luther King et devint maire d’Atlanta
  8. Qui fut ensuite le leader du "Student Nonviolent Coordinating Comittee"

Voir aussi mes autres articles sur Toni Morrison :
 * Sula -- Home -- L’œil le plus bleu
<< Christian Broussas - Feyzin, 10/12/2012 - << © • cjb • © >>


 
 

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