lundi 21 avril 2014

Jacques Le Goff, le médiéviste

       <<<<<<<<<<<<<<<<  Jacques Le Goff (1924-2014)  >>>>>>>>>>>>
             Article en hommage au grand médiéviste mort en avril 2014

L'historien français JACQUES LE GOFF (1924-2014). (JACQUES SASSIER/AFP)
« Mes héros ne meurent jamais. » Jacques Le Goff

« Jacques Le Goff, ce grand historien que le monde nous enviait » titrait le Nouvel Observateur au lendemain  de sa  mort le 1er avril 2014. Chantre de la "Nouvelle histoire", ce chef de file de l’École des Annales avait révélé l’importance du système de valeurs médiéval dont  l’époque actuelle est très largement l’héritière. 

Ce breton, par le hasard d’une nomination de son professeur de père, est né à Toulon mais sa mère était une provençale aussi pratiquante que son mari fut un laïc sceptique. [1] Jacques Le Goff le décrit comme un homme « droit, honnête, dévoué et intègre » et cherche déjà, à travers la figure paternelle, comment  les mentalités forgées par l’histoire, "l’inconscient collectif", peuvent  influer sur l’évolution des  sociétés. 

De Toulon, de sa jeunesse passée cours La Fayette, il retiendra l’importance de la topographie socio géographique d’une ville, des "frontières" entre quartiers, l’importance de la rue, des espaces publics comme marque de sociabilité, qu’il transposera plus tard à la cité médiévale. Autant l’expérience du Front populaire va l’enthousiasmer, autant il sera d’emblée opposé au régime de Vichy, écrivant en 1987 que « Pétain est la plus grande tache sur l’histoire de France ». Il fera son hypokhâgne dans un lycée de Marseille sans avoir obtenu la moindre bourse puis entrera dans la Résistance. Il se retourne du communisme, surtout après « le coup de Prague » auquel il assiste et militera ensuite au PSU (le parti socialiste unifié)

Ses premiers ouvrages importants, « Marchands et banquiers du Moyen Age » et « Les Intellectuels au Moyen Age », analysent le développement urbain au XIIIe siècle et le rôle d’une institution comme les ordres mendiants dans la structuration d’un nouveau paysage social. Il met aussi l’accent sur l’émergence de nouvelles pratiques comme la diffusion du savoir qui va faire de l’intellectuel une des grandes figures de cette époque. Dans un ouvrage essentiel « La Civilisation de l'Occident médiéval », il procède d’une approche globale de l’ère médiévale en partant de son univers mental, de l’impact d’une religion qui, pendant une dizaine de siècles, a modelé le mode de vie des populations pour l’adapter, le rendre conforme aux prescriptions chrétiennes. Cette approche s’appuie sur son idée que « l’histoire est mue par des mouvements profonds et continus, elle ne connaît pas de rupture brusque. »  

    

Il s’intéresse à tous les aspects de la vie médiévale à travers les objets du quotidien, la vêture, l’alimentation et même le comportement de tel ou tel groupe social. Dans « L’imaginaire médiéval », il se penche sur le rêve, les mentalités, les croyances collectives pour évaluer l’impact de leur évolution et les conséquences pour la société. Pour lui, l'histoire en tant qu'histoire des hommes et de leur sensibilité, ne peut prétendre à l'objectivité : c'est une « activité presque involontaire de rationalisation. »
 
Il s'est penché par exemple sur le rôle d'Helgaud de Fleury qui au début du XIe siècle présente le roi Robert le Pieux comme un saint alors qu'il a répudié sa femme, en enlève une autre qu'il finit par épouser, se retrouvant ainsi bigame. Autre exemple puisé dans le siècle suivant, celui du roi Philippe Auguste se remarie sans consommer ce nouveau mariage puis enferme sa femme pour pouvoir se remarier. Contradiction entre liaison du cœur et raison d'état dont l’Église s'accommode sans grande peine.Il s'est aussi élevé contre le découpage de l'histoire en tranches, l'idée de rupture entre les grandes époques qui ont marqué l'évolution historique et dont il disait : « Il semble souvent que la continuité l'a emporté sur la rupture, le point d'arrivée est pourtant si éloigné du point de départ que les gens du Moyen Âge eux-mêmes, dès le VIIIe siècle et jusqu'au XVIe, éprouveront le besoin de retourner à Rome parce qu'ils sentaient qu'ils l'avaient bien quittée. En chaque renaissance médiévale les clercs affirment plus encore la nostalgie du retour à l'Antiquité le sentiment d'être devenus autres. Revenir à Rome, ils n'y songent d'ailleurs jamais sérieusement. Quand ils rêvent d'un retour, c'est à celui qui les ramènerait au sein d'Abraham, au paradis terrestre, à la maison du Père. »
Il participe aussi à la diffusion de l'enseignement de l'Histoire dans l'émission Les Lundis de l'Histoire sur France Culture puis à l'écriture de l'histoire des Annales intitulée Faire de l'histoire, réunissant ses articles dans le livre Pour un autre Moyen-Age. 

C’est au début des années 1960 lors d’un colloque d’historiens qu’il rencontre en Pologne sa future femme Hanka, qui termine ses études de médecine. Cette nouvelle expérience lui donne une vision européenne du rôle de l’historien, ce continent de « la continuité historique vécue » dit-il, qui fait qu’on peut vivre « l’Antiquité aujourd’hui en Europe méridionale comme le Moyen Age aujourd’hui en Europe septentrionale ». Expérience qui le mènera à présider la collection « Faire l’Europe » qui publie des ouvrages dans les différentes langues de la Communauté européenne.

         

Interview de Jacques Le Goff par André Burguière
 Dans une interview de l'historien André Burguière, Jacques Le Goff donne son sentiment sur la notion de Renaissance et d'évolution du rapport à l'argent :

« Ce long Moyen Age qui va du IVe au XVIIIe siècle [2] a connu plusieurs phases d'essor, que l'on peut qualifier de "Renaissances" parce qu'elles mêlent l'innovation au resourcement dans l'héritage de l'Antiquité. On a parlé de la "Renaissance carolingienne" au IXe siècle, il y a aussi eu une renaissance au XIIe siècle: c'est l'essor des villes et du grand commerce, la construction des Etats monarchiques, l'épanouissement de la scolastique et bientôt la création des universités. La principale différence de cette "Renaissance" avec celle du XVIe siècle, c'est que ses acteurs ne se pensaient pas comme les inventeurs d'un âge nouveau mais comme "des nains juchés sur des épaules de géants" ».
 « Je me suis demandé moi-même devant ces réactions si l'on assistait à l'émergence d'un nouvel anticapitalisme ou à la résurgence de l'ancienne aversion au profit, demeurée latente. En réalité, l'usage de la monnaie a été largement stimulé au Moyen Age par le développement du commerce international - surtout grâce aux marchands italiens - et des Etats bureaucratiques, à commencer par la papauté, qui lèvent des impôts payables en numéraire. Mais les hommes n'accordaient pas une valeur intrinsèque à l'accumulation du capital et, quand ils le faisaient, ils cherchaient à rendre cette accumulation compatible avec les exigences de l'au-delà. »


Jacques Le Goff, Gabriel Garcia Marquez: La vie est notre réponse

En une semaine nous venons de perdre deux grands témoins de notre temps, deux témoins agissants : Jacques Le Goff et Gabriel Garcia Marquez. Deux hommes qui ont bouleversé leurs domaines respectifs : l’histoire, la littérature. Leurs apports sont essentiels. L’histoire ne se fait plus de la même manière depuis les travaux de Jacques Le Goff. [...] Ces deux penseurs étaient des politiques dans le sens le plus noble de du terme, des hommes de l’agora. Ils portaient un regard lucide et engagé sur leurs sociétés. Tous les deux refusaient la logique de la misère tant matérielle, qu’intellectuelle.  IIs étaient en rage contre un ordre qui a fait de l’ignorance une de ses méthodes à richesse...
Jacques Le Goff écrivait « il n’y a pas de sens à l’Histoire mais l’Histoire donne un sens au temps ».
Allez écouter ces idées  sur France Culture (nombreuses émissions le concernant) et sur France Inter (la magnifique « Marche de l’histoire)
Extrait d'un article de

Notes et références
[1]
Cette "opposition complémentaire" entre ses parents l'a beaucoup influencé, surtout le contraste entre éducation religieuse et enseignement public qui lui a permis d'acquérir une grande liberté de conscience
[2] Pendant tout le temps que la doctrine catholique a été source de vérité tant que l'Eglise et sa doctrine ont été considérées comme les sources de la vérité. La rupture naît de deux révolutions : révolution industrielle dès le milieu du XVIIIe siècle et révolution française qui modifie profondément les structures mentales, le rapport à l'Histoire et au religieux.

Voir aussi
* L'hommage de Gallimard
* Mes fiches consacrées aux deux autres historiens de l'Ecole des Annales Lucien Febvre et Emmanuel Le Roy Ladurie 

       <<<< Christian Broussas – Feyzin, 18 avril 2014 - <<<<© • cjb • © >>>>


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire