dimanche 15 juin 2014

L’Affaire Lévy et l’antisémitisme

On a parlé  d’une affaire Lévy comme on a aussi parlé d’une affaire Dreyfus et en effet, on évoquera de nouveau au tournant des XIXe et XXe siècles, cette ancienne affaire survenue aux temps de Louis XIV. Et pour cause, elles ont toutes deux des relents récurrents d’antisémitisme. Même un homme estimé comme Richard Simon, qui dans un factum de 1670, dénonce les rumeurs qui circulent sur les juifs et démontre qu’ils ont toujours été des soutiens efficaces et fiables du pouvoir royal. 

 Le 25 septembre 1669, jour de nouvel an juif, un petit enfant catholique de trois ans Didier Le Moyne disparaît dans le village de Glatigny près de Metz, échappant à la vigilance de sa mère. Il sera retrouvé quelque deux mois plus tard dans les bois de la commune ; ou plutôt une partie du corps du pauvre petit enfant, le reste ayant probablement été dévoré par des bêtes.

Dans le même temps ce 25 septembre, Raphaël Lévy marchands de bestiaux à Boulay, une localité voisine, part de Metz vers 13 heures rejoindre des amis dans un bois situé entre Glatigny et Les Étangs. Une semaine plus tard, les parents de Didier portent plainte contre Raphaël Lévy pour enlèvement.

L’enquête patine, les témoignages se contredisent sur la description de l’individu, sur les horaires, mais Raphaël Lévy est quand même inculpé et jeté en prison. Un incident se produit alors, qui aura pour lui des conséquences fâcheuses : dans un billet, il demande en judéo allemand si l’enfant a été retrouvé (gefunden) ; or on le traduit par le terme gebunden qui signifie "ligoté", ce qui malgré ses démentis, sera considéré quasiment comme un aveu implicite. Condamné à mort le 16 janvier 1670, il est livré au bûcher le lendemain.

Certains des témoins à charge cumulent les invraisemblances et veulent même nuire à l’inculpé comme cette bouchère alors incapable de se déplacer, qui jure l’avoir aperçu sur son cheval et portant l’enfant. L’instruction s’est faite uniquement à charge et les témoins de Raphaël Lévy ont tous été écartés. En l’absence d’une autre piste, il fallait absolument démontrer les mœurs étranges de certains membres de la communauté juive dont Raphaël Lévy serait un parfait exemple.

               

La communauté juive
Les juifs de Lorraine vers 1660 forment dans la région de Metz une communauté spécifique marquée par son endogamie, son parler allemand ou la façon de se vêtir. Ils sont donc considéré comme étant à part, objet de méfiance des lorrains. Les parents du petit Didier en rajoutent, très probablement guidés par l’accusation, évoquant dans une lettre au parlement de Metz « la main de ce nouvel Hérode acharné de son sang pour le sacrifier à l’inhumanité et la barbarie de sa synagogue ». On rejoint là la terreur populaire des infanticides liées à des rituels de sacrifices humains et même de cannibalisme. Le peuple veut même s’en prendre aux juifs de Metz et le pire sera évité de justesse.

  

En plus de l’attitude hostile de Claude Daillon le conseiller du roi, un événement va contribuer à plomber le dossier de Raphaël Lévy et à aggraver son cas. Une histoire assez invraisemblable, très caractéristique du climat qui régnait alors dans le pays messin. Une veuve, dix ans après les prétendus faits, accuse un juif Mayer Schwabe –de plus ami de Raphaël Lévy -  d’avoir « profané une hostie ». [1] L’action de la communauté juive, malgré les pressions et la mauvaise volonté de l’intendant, portera quand même ses fruits.  

Le Conseil d’État dans un arrêt du 18 avril 1670, interrompt toute poursuite contre Schwabe et exige de recevoir les motifs de la décision rendue contre Raphaël Lévy, malgré les réticences du parlement. Le pouvoir royal sera désormais plus vigilant pour éviter de nouvelles erreurs judiciaires. Mais l’antisémitisme n’est pas éradiqué pour autant et pendant l’Affaire Dreyfus, des journaux comme celui de Drumond ou La Croix, colporteront encore des histoires de crimes rituels depuis le Moyen Ậge. 

                  

Extrait de la présentation : Rencontre insolite à Montigny-lès-Metz (02 2001)

La scène se déroule dans le cadre d'une paisible maison de retraite de Montigny-lès-Metz, La Sainte Famille. Le 13 février 2001, dans une chambre spacieuse et tranquille où trône une bibliothèque remplie d'ouvrages, une fois passé la porte surmontée d'un christ, confortablement installés dans des fauteuils, trois hommes et une femme se font face. L'émotion est intense, les pleurs ponctuent les paroles échangées. Un lointain passé resurgit brusquement.

Bernadette Lemoine, âgée de quatre-vingt-dix ans, dernière descendante - de la neuvième génération - de Jean Le Moyne, frère de Didier Le Moyne, le petit garçon âgé de quatre ans retrouvé mort après sa disparition dans la forêt de Glatigny, rencontre pour la première fois Pierre-André Meyer, historien de la Lorraine, ultime membre de la onzième génération des Lévy issus de Raphaël Lévy, accusé injustement autrefois, en 1669, d'avoir enlevé et assassiné le petit Le Moyne. Par le plus étrange des hasards, trois cent trente-deux années après ces événements tragiques qui conduisirent Raphaël Lévy au bûcher, ces lointains descendants d'acteurs qui s'affrontèrent durement au cours de cette exceptionnelle affaire d'accusation de meurtre rituel entament un dialogue paisible reposant sur une conviction identique : l'innocence de Raphaël.

Notes et références
[1] A Paris en 1290, un juif et sa servante avaient été exécuté pour avoir prétendument fait brûler "le symbole du corps du Christ"

Voir aussi
* Pierre Birnbaum, Un récit de meurtre rituel au Grand Siècle, éditions Fayard, 242 pages, octobre 2008, isbn 978-2213638317
* Hannah Arendt, "Sur l'antisémitisme", éditions Calmann-Lévy, 292 pages, 1994
* Gérard Boulanger, "L'Affaire Jean Zay", éditions Calmann-Lévy, 528 pages,  2013

     <<< Christian Broussas – Confluences - Feyzin, 15 /06 /2014 << © • cjb • © >>>

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