mardi 5 août 2014

Michel Houellebecq et Bernard-Henri Levy

Référence : Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, éditions Grasset et Flammarion, 332 pages, 2008, ISBN 978-2-08-121834-5, Le Grand livre du mois, 2008


« La langue française est vraiment une des réussites de ce pays, harmonieuse, un peu sourde, aux tonalités restreintes. » Michel Houellebecq

  
Ennemis publics est un essai publié sous forme d'une correspondance s'étalant entre janvier et juillet 2008 entre les écrivains Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy. il est composé de 28 lettres qui abordent quelques sujets qui leur tiennent à cœur comme la carrière d'un écrivain, de son aspect littéraire à celle de "l'intellectuel engagé", le renouveau du religieux en occident, le sens de la création romanesque ou leur relation à des médias comme la presse et internet.

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C'est Michel Houellebecq qui lance le débat en partant de l'idée fortement répandue que « tout, comme on dit, nous sépare – à l'exception d'un point fondamental : nous sommes l'un comme l'autre des individus assez méprisables ». Ce qui correspond aux formules dans lesquelles Houellebecq excellent.
Certains ont reproché aux deux écrivains ce dialogue beaucoup trop "sérieux", manque de recul et manque d'humour, [1] sauf en quelques occasions où Bernard-Henri Lévy se demande si cet exercice n'intéressait pas qu'eux seuls, s'ils n'étaient pas guettés par une tentation à la paranoïa, questionnement qui restent largement théoriques.



Michel Houellebecq démarre en  mettant les pieds dans le plat, comme à son habitude sur le mode sado-maso, plutôt maso pour lui, plutôt sado pour son compère philosophe.

Il ne le ménage pas, l'apostrophant dès le départ dans son style à l'emporte-pièce :

« Spécialiste des coups foireux et des pantalonnades médiatiques, vous déshonorez jusqu’aux chemises blanches que vous portez. Intime des puissants, baignant depuis l’enfance dans une richesse obscène, vous êtes emblématique de ce que certains magazines un peu bas de gamme comme Marianne continuent d’appeler la « gauche-caviar », et que les périodistes allemands nomment plus finement la Toskana-Fraktion. Philosophe sans pensée, mais non sans relations, vous êtes en outre l’auteur du film le plus ridicule de l’histoire du cinéma. »


Il ne se ménage pas lui-même, renvoyant une image qu'il déballe sans tabou :
« Nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogyne honteux : ce serait me faire trop d’honneur que de me ranger dans la peu ragoûtante famille des anarchistes de droite ; fondamentalement, je ne suis qu’un beauf. Auteur plat, sans style, je n’ai accédé à la notoriété littéraire que par suite d’une invraisemblable faute de goût commise, il y a quelques années, par des critiques déboussolés. Mes provocations poussives ont depuis, heureusement, fini par lasser. »


Michel Houellebecq propose aussi (page 123) une analyse historique sur la vague pacifiste française après 1918, en particulier dans sa lettre du 24 mars 2008. Il se voit comme "des pierres, lancées dans le vide, et aussi libres qu’elles."
Grande compassion de Bernard-Henri Lévy pour Michel Houellebecq et les relations pour le mpons tumultueuses qu'il a avec sa mère Lucie Ceccaldi , "harpie" qui insulte son fils dans un livre-pamphlet qui l’a beaucoup affecté. Bernard-Henri Lévy pense alors à sa propre mère, à la chance qu’il a eue « d’avoir été béni par une mère de cette sorte ».  Il évoque aussi son père, cet homme « mélancolique et puissant, silencieux et guerrier, joueur d’échec, insondable, lucide et incrédule, solitaire et souverain. » (p194)

Conclusion de son exorde :
« A nous deux, nous symbolisons parfaitement l’effroyable avachissement de la culture et de l’intelligence françaises, récemment pointé, avec sévérité mais justesse, par le magazine Time. Nous n’avons en rien contribué au renouveau de la scène électro française. Nous ne sommes même pas crédités au générique de Ratatouille. Les conditions du débat sont réunies. »


Au-delà de leur ego d'écrivains qui les conduit à se considérer comme des "ennemis publics", de fustiger les médias, au-delà du battage médiatique d'un secret qui se voulait bien gardé, [2] cet ouvrage contient de belles pages où les deux écrivains se livrent quand ils consentent à être authentiques et à interroger leur mémoire.
 
                            

Citations des deux auteurs :

 * « S’il y a une idée, une seule, qui traverse tous mes romans, jusqu’à la hantise parfois, c’est bien celle de l’irréversibilité absolue de tout processus de dégradation, une fois entamé ». (Houellebecq p 118-119)
* « Seule l’Étude, seules ses lettres de feu projetées en colonnes vers le ciel peuvent empêcher (le monde) de se "décréer" et faire qu’il reste debout… BHL p 308
* « Le bonheur est l’utopie des hommes qui ne croient pas à l’inconscient ».BHL
p 307
« Quoi qu’il en soit, le fait est là : on finit par oublier jusqu’à ses propres livres. »
Michel Houellebecq p 322
* « On se souvient de sa propre vie un peu plus que d’un roman qu’on aurait lu par le passé. » Schopenhauer, cité par Michel Houellebecq p 321
* « Où vous voyez que l’on ne rompt toujours pas avec la loi et le mimétisme du père… » BHL p 82
«  C’est comme ça que j’ai été élevé, je n’y peux rien. »
Houellebecq p 94

* « Sur l’amour, on n’est pas regardant, je crois, on le prend où on le trouve. »M Houellebecq p 199

* « j’ai vécu un jour, je veux dire concrètement vécu, l’espace de quelques heures, ce que peut signifier pour un homme, et pire pour un écrivain, l’effacement clinique de sa propre mémoire –Salpêtrière… cérémonie des Urgences… stupidité …  hébétude… se souvenir à peine, soudain, de son propre nom… ne savoir plus que répéter, en boucle, devant le cercle des médecins atterrés, "la maladie de Baudelaire… la maladie de Baudelaire… " Peut-être, est-il inévitable qu’arrive, un jour ou l’autre, ce moment  où des grands pans de vie, de livres, deviennent semblables à des ombres pâles, ou des mirages, ou ces gros nuages de chaleur que dissipe la fin d’un bel et vivace aujourd’hui.  » Bernard-Henri Lévy


Notes et références
[1] Comme Pierre Assouline dans son blog d'octobre 2008
[2] Voir à ce sujet l'article du Nouvel Observateur du 2 août 2008

Autres références
* Voir aussi mes articles Houellebecq, une jeunesse ainsi que La carte et le territoire


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