lundi 3 novembre 2014

Variations sur la Violence des riches

2013, deux ans après la parution du Président des riches, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon publient un nouvel ouvrage toujours sur le même thème intitulé la Violence des riches. Ils poursuivent leur analyse de l'univers d’une classe dominante et de ses instruments de pouvoir qui pèsent largement sur le fonctionnement de la démocratie et au détriment des plus défavorisés.


Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon

Selon Monique Pinçon-Charlot, il faut d'abord mettre en exergue la violence économique de type néolibéral, basée sur la spéculation, déconnectée de la réalité productive qui se conclue par des licenciements massifs malgré de confortables bénéfices. A cala s'ajoute le fait que la classe dominante passe aussi par une violence idéologique qui présente le néolibéralisme comme un phénomène naturel et une violence linguistique par manipulation du langage pour imposer une pensée unique, la leur bien sûr, génératrice de fatalisme de la part des autres classes sociales.

Selon son mari Michel Pinçon, dans ces conditions, les couches populaires croient de moins en moins au discours politique, une césure qui touche toute la classe politique, y compris une gauche prise dans cette logique. La notion de changement se décline en deux dimensions qui se déclinent en alternance et en alternative. Or maintenant l’alternative n'est plus possible, seule l'alternance se décline actuellement sur fond de libéralisme. (voir le livre de François Hollande, "La gauche qui bouge ") La France rejoint la tradition anglo-saxonnes où deux grands partis démocrate et républicain alternent au pouvoir sans que leur différenciation politique soit clairement lisible.

Le fonctionnement de la Ve République favorise en définitive cette violence des riches. Il faudrait en passer par une nouvelle Constitution pour vraiment pouvoir faire bouger les choses. Et les problèmes à résoudre sont aussi nombreux que divers : dans les excès de la mondialisation par exemple, comment concevoir qu'une firme comme LVMH ait quarante-six filiales dans les paradis fiscaux alors que la classe politique est incapable d'agir de tels pratiques, coupée des classes populaires pratiquement pas représentées au parlement.

Le langage lui-même devient instrument du pouvoir, les mots considérés comme "non conformes" sont proscrits, sont tabous, il n'y a plus de capitalisme ou d'antagonisme entre classes sociales, on utilise des mots-valises sans contenu comme flexi-sécurité par exemple à la définition si sibylline, appeler un spéculateur par son nom sans passer par la langue de bois. Le langage suppose l'émergence d'une nouvelle culture pouvant assurer le pouvoir des riches. Savoir lire et écrire ne suffit plus, la mondialisation veut que l'on soit trilingue, maniant aussi bien le Français, l'Anglais que l'Espagnol, les trois langues "internationales". [2] Après l'économie et la finance, la culture se mondialise, « l’organisation cosmopolite est absolument transversale à la classe » qui se reconnaît parfaitement dans ses signes et ses modes de vie.

 

L'histoire à son tour est investie comme une dimension sociologique, le riche s'inscrit dans une généalogie, sinon une dynastie, ses repères sont autant de biens culturels que mobiliers et immobiliers qui apprend aux enfants autant les différences que leur position dans la famille, dans le groupe. [3] En regard, on peut comparer cette situation avec celle d'un enfant de banlieue qui voit la tour de son enfance s'effondrer devant ses yeux, « vraie précarité de la vie populaire, » un autre univers de deux mondes dont les antagonismes sont nourris de criantes inégalités.

Le plus grave est que cette évolution est basée sur une inversion des valeurs, celle de solidarité s'effaçant devant les ravages de l’individualisme et la classe dominante fait les règles pour elle-même et à son profit. Cette forme de néolibéralisme contemporain a engendré une forme d'individu qui lui correspond, un individu « néolibéral, pervers, narcissique, au-dessus des lois. »



La référence à Pierre Bourdieu
« Rien n'est plus surprenant pour ceux qui considèrent les affaires humaines avec un oeil philosophique que de voir la facilité avec laquelle la majorité (the many) est gouvernée par la minorité (the few) et d'observer la soumission implicite avec laquelle les hommes révoquent leurs propres sentiments et passions en faveur de leurs dirigeants. Quand nous nous demandons par quels moyens cette chose étonnante est réalisée, nous trouvons que, comme la force est toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n'ont rien pour les soutenir que l'opinion. C'est donc sur l'opinion seule que le gouvernement est fondé et cette maxime s'étend aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaires aussi bien qu'aux plus libres et aux plus populaires. »

(David Hume, in Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, Collection Liber, 1997, Points, 2003 P.257, aussi in Sur l'Etat. Cours au Collège de France 1989-1992, Raisons d'agir/Seuil, 2012, p.257-258)

Notes et références
[1] Obama a certes travaillé dans un sens social avec ses garanties santé. Mais il ne s’attaque pas à Goldman Sachs et aux têtes nocives de la finance anglo-saxonne. Obama, c’est l’alternance post-Bush. Blair, c’est l’alternance post-Thatcher. Hollande, c’est l’alternance post-Sarkozy.
[2] « L'organisation cosmopolite est absolument transversale à la classe » Monique Pinçon-Charlot
[3]  « C’est une des dimensions décisives dans la violence symbolique et qui renvoie au vécu de tout un chacun. » Michel Pinçon

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Site Essais et études
 
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