Référence : Marguerite Yourcenar, Le tour de la prison, Collection Blanche, éditions Gallimard, parution le 12/02/1991, 187 pages

    

L'Extrême-Orient a toujours attiré Marguerite Yourcenar, l'Inde, la Chine, surtout le Japon et sa littérature. On en trouve la trace dans un recueil de dix nouvelles intitulé les Nouvelles orientales qui furent publiées d'abord séparément, puis retravaillées par son auteure avant d'être réunies sous forme de recueil.

Elle se décidera vers la fin de sa vie en 1982 à visiter ce Japon qu'elle aimait tant, y fera une conférence malgré sa réticence à "officialiser" son voyage et rencontrera la veuve de l'écrivain Yukio Mishima.
Mishima auquel elle consacrera un essai biographique intitulé "Mishima ou la vision du vide" et traduira également un recueil de pièces de théâtre intitulé "Cinq nôs modernes".   

1982, année du voyage au Japon, est en ce sens une année de délivrance après sa vie quasi sédentaire, bloquée dans sa maison Petite Plaisance sur l’île des Monts-Déserts, par la maladie de sa compagne Grace Frick emporté par un cancer en 1979.

      

De ce voyage, elle tira un recueil intitulé Le tour de la prison, tiré d’une phrase de L’Œuvre au noir : « Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait le tour de sa prison ? » phrase clé chez celle dont le voyage a toujours été l’oxygène.
Le tour de la prison, est d’abord un récit de voyages centré sur le Japon qui occupe 11 des 14 nouvelles du recueil, complété par une conférence faite à l'Institut français de Tokyo, en 1982, conférence intitulée : "Voyages dans l'espace et voyages dans le temps".

Elle y évoque le pays de cette époque, la légende des quarante-sept rônins, le mariage à la japonaise, le goût des Japonais pour les carpes...

Elle y évoque également Tokyo, Kyoto et ses jardins, le bouddhisme et le zen et bien sûr les auteurs japonais qui l’ont marquée comme le premier texte sur ce prêtre errant du XVIIe siècle japonais, Bashô. [1] Expérience mêlée de nostalgie, jugement sans concession quand elle écrit : « Pour suivre le pèlerinage de Bashô (un moine bouddhiste) dans la campagne japonaise, il faut éliminer en esprit l'autoroute moderne qui coupe en deux les paysages d'autrefois, supprimer les grandes villes industrielles sur l'emplacement des rustiques barrières que peignit Hiroshige, et décupler ou centupler le temps pris par son pèlerinage.»

Bien sûr, il y a aussi Mishima dont elle appréciait particulièrement la Tétralogie.

     
La maison de Petite Plaisance       Voyage au Japon 1982

Elle s’est aussi beaucoup intéressée aux différentes facettes de l’art traditionnel japonais, en particulier l’art théâtral, le nô, le kabuki [2]et le bunraku, ce théâtre fait de marionnettes géantes, ainsi que les formes de la poésie japonaise comme le haïku.

Dans la panoplie de tous ses héros, Marguerite Yourcenar aimait particulièrement d’un prêtre errant du XVIIe siècle, nommé Bashô. C'est le premier texte de son recueil qu'elle intitule Le tour de la prison, nimbé d’une certaine mélancolie puisque achevé. De l’écrivaine Murasaki Shikibu, auteur du Dit du Genji, elle dit : « Quand on me demande quelle est la romancière que j’admire le plus, c’est le nom de Murasaki Shikibu qui me vient aussitôt à l’esprit… C’est vraiment la grande romancière japonaise du XIe siècle, c’est-à-dire d’une époque où la civilisation était à son comble au Japon… Une femme qui a le génie, le sens des variations sociales, de l’amour, du drame humain, de la façon dont des êtres se heurtent à l’impossible. »

Si elle évoque la traversée d'est en ouest du continent américain vers l'Alaska puis vers San Francisco, le livre est centré sur le Japon, et plus particulièrement sur le théâtre traditionnel, le personnage de Mishima, et sa mort qu’on peut considérer aussi essentielle que son œuvre. Ce qui devrait enchanter un homme comme Mishima. Elle s’intéresse aussi beaucoup au spectacle du kabuki, pour qui elle a le plus grand respect aussi bien pour la technique que pour les acteurs, avec qui elle parle de leurs costumes féminins et de leur maquillage, leur fabuleuse fraîcheur leur capacité d’émerveillement qui semble toujours renouvelée. Elle y découvre une autre façon de voir les choses, un monde pour elle tout neuf, une culture qui l’enchante et la déroute.

          
Biographie de M. Goslar


Dans la seule conférence qu’elle donnera durant son séjour, elle fera allusion à Zénon pour évoquer le voyage et ses motivations « Zénon, le second grand voyageur de mon œuvre, est à la fois motivé par les nécessités du gagne-pain (...), mais motivé aussi par la persécution d'ordre religieux, moral et politique, qui l'oblige à fuir d'un pays à l'autre, jusqu'au moment où il prend refuge dans la mort. Toutefois, son but essentiel est de nouveau ce bris des préjugés et des coutumes, qui est pour un homme d'intelligence l'un des plus clairs profits du voyage, et la recherche passionnée de tous les modes de la connaissance - pour lui surtout métaphysique et alchimique - que les siècles ont accumulée sur certains points du monde plus qu'ailleurs. »

Elle terminera sa conférence par ces mots : « Nous sentons qu'en dépit de tout, nos voyages, comme nos lectures et comme nos rencontres avec nos semblables, sont des moyens d'enrichissement que nous ne pouvons pas refuser. »

Notes et références
[1]
« Quand on lit Bashô, on est frappé de voir combien les saisons, si attentivement suivies dans leur cycle, sont ressenties par les inconvénients et les malaises qu'elles apportent autant que par l'extase des yeux et de l'esprit que dispense leur beauté. » 
[2] « Dans nos vies, bonheur et malheur sont séparés l'un de l'autre par des creux ou des pans d'ombre; le kabuki les fait suivre comme la nuit et le jour dans les pays sans crépuscule. [...] Le kabuki regorge de splendeurs mais l'image la plus saisissante qui surnage est peut-être celle de ces figures tout en noir, impersonnelles et agissantes, qui au moment voulu apportent aux personnages les accessoires de leur rôle, et les leur reprennent à l'instant où ils ne s'en servent plus. » 

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